Le culte de l’uniforme

Le culte de l'uniforme

Image: beaubelle – Fotolia.com

Suite au 11 septembre 2001, le service des pompiers de la ville de New York doit rapidement regarnir les rangs décimés de ses troupes. Plus de trois cents nouveaux pompiers doivent être embauchés sans délai. Pour attirer d’éventuels candidats, la publicité imprimée mise seulement sur deux mots (« Héros recherchés ») et une photo (un casque de pompier).

La division des Marines, branche d’élite de la force millitaire américaine, adopte une tactique similaire. À Newark (Delaware), la vitrine du bureau de recrutement expose deux objets: la veste décorée de l’uniforme d’un Marine et une épée. Sur une affiche, on y lit: « Les rares. Les fiers. Les Marines. »

Vive l’uniforme!

Aux États-Unis, le culte de l’uniforme est pratiqué depuis toujours par une population avide d’éblouissement.

Tous veulent voir un uniforme. Dans une auto-patrouille. Dans une parade. Sur un terrain de football. Au supermarché.

Plusieurs portent un uniforme. Les hommes en cravate. Les femmes en tailleur. Les brigadiers scolaires. Les arbitres. Les préposés du restaurant McDonald.

Plusieurs ne veulent pas en porter. Les prisonniers. Les étudiants de collèges privés. Les danseuses nues. Les voleurs.

Plusieurs ne croient pas en porter. Les filles au string grimpant. Les garçons au pantalon tombant.

Plusieurs rêvent d’en porter. Certains même d’en porter un autre que le leur …

Par un beau dimanche…

Par un beau dimanche d’automne, je roule allègrement sur une autoroute peu achalandée dans l’État de New York, à une vitesse un tantinet supérieure à la limite permise. Au loin, je crois distinguer un véhicule policier nullement banalisé, arborant d’inertes gyrophares. Se prélassant dans la voie de dépassement de gauche, la bagnole du gardien de l’ordre déambule à une vitesse un tantinet inférieure à la limite permise.

Me rapprochant inexorablement de l’objet roulant à propulsion dominicale, je remarque alors qu’il ne s’agit pas d’un véhicule policier mais plutôt d’une automobile vouée à la protection de la faune et la flore. L’apparence extérieure du quadripède mécanique sur pneumatiques est similaire à celle de l’auto-patrouille d’un State Trooper, seul émetteur autorisé de contraventions salées. Toutefois les inscriptions décorant l’engin gouvernemental nonchalant ne mentent pas: sa mission sur terre est purement bucolique.

Constatant que l’escargot de la force faunique demeure résolument dans la voie de dépassement, sans doute avide d’admirer les couleurs automnales et de humer le parfum des montagnes sur sa gauche, je double donc la calèche à peine motorisée sur sa droite.

Mal m’en prit!

Immédiatement, mon ancien prédécésseur se place derrière ma modeste monture à pistons. Puis, sans crier gare, il actionne de tournoyants jets de lumière violemment rouge. Peu après, mon rétroviseur affiche la mine courroucée d’un homme en uniforme, qui se dirige vers ma portière avec arme en bandoulière et sourire absent du faciès.

La question

« Ca vous arrive souvent de doubler un policier? »

Ma première réaction, intérieure:

« De doubler un VRAI policier? Non, cela n’est pas encore survenu. »

Ma seconde réaction, tout aussi silencieuse:

« S’il ne roule pas assez vite? Oui, ça serait envisageable. »

Ma réaction finale, en exagérant mon accent français:

« Mille excuses! Voyez-vous, mon odomètre affiche des kilomètres au lieu des milles. J’ai dû confondre les deux. »

Toujours aussi pourpre que les feuilles d’automne, le coloré représentant des forces de la nature me répète la question:

« Ca vous arrive souvent de doubler un policier? »

Je meurs d’envie de rétorquer:

« Parlez toujours, vous n’avez aucune juridiction sur l’autoroute et vous le savez parfaitement. »

Mais vu qu’on regrette rarement ce qu’on ne dit pas, je demeure vraiment coi et faussement contrit.

L’usurpateur d’identité policière se dirige ensuite vers son transporteur à chevaux mécaniques, porteur de mes papiers d’identification. Dans mon rétroviseur, je le vois s’asseoir confortablement derrière son volant.

Puis j’attends. J’attends. J’attends…

Finalement

Vingt minutes plus tard, le scénario écrit dans le ciel se réalise enfin. Le digne représentant des arbres, des rivières et des moustiques revient vers moi, la mine renfrognée. Il me remet mes papiers sans aucun ajout documentaire porteur d’amende. Puis, il tonitrue sa sentence:

« Pour cette fois, vous n’aurez pas de contravention. Mais je vous suggère de ne plus doubler un policier. »

Bien bas, je m’incline devant ce vizir qui rêve de devenir calife à la place du calife…

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