L’accent a disparu!

L'accent a disparu!

Image: Vincent Allard

Je n’ai aucun accent en anglais.

Pourtant je n’ai pas de mérite. C’est grâce à mes parents. Dès ma naissance, ils ne voulaient pas que j’aie d’accent. Ils ont agi en conséquence. Je les en remercie du fond du cœur.

Cet atout fut déterminant pour mon intégration dans la société américaine. Je n’ai eu aucun problème à me fondre dans la masse. Heureusement d’ailleurs. Car grave aurait pu être le fait d’avoir un accent. Ou aigü le problème pouvant en découler.

Mes enfants

Par contre, mes enfants avaient tous un accent assez prononcé avant de mettre les pieds aux États-Unis. Peu importe le sens de leur accent, il faisait partie de leur identité propre. Il était inséparable de leur identification humaine.

Dès leur arrivée au pays de l’Oncle Sam, mes chérubins ont perdu leur accent. À une vitesse époustouflante. Ils en furent profondément bouleversés. Même le plus jeune, qui n’avait que cinq ans lors de l’émigration familiale. Au début, mes rejetons tentèrent de conserver leur élément distinctif. Mais très vite, ils abandonnèrent toute résistance. Ils renoncèrent à imposer leur accent.

Aujourd’hui, ma progéniture est entièrement américanisée. Véronique, Geneviève et Jérémie n’ont plus d’accent. Eux aussi sont désormais fondus dans la masse. Ils ne parlent plus de leur accent. Ils ont accepté l’idée d’être identique. Ils ont renoncé à l’idée d’être différent. Ils ont abdiqué devant la force brutale de l’environnement assimilateur. Du pays hôte. Du pays autre. Du pays sans accent en anglais.

Véronique est devenue Veronique. Geneviève est désormais Genevieve. Jérémie est maintenant Jeremie. Dans mon cas, ne cherchez pas. Je répète ce que mentionné au tout début de cet article: dans le cas de Vincent, point d’accent!

Aucun accent, sauf…

Je n’ai aucun accent en anglais… sauf lorsque je parle.

Vaines sont mes tentatives d’américaniser mes élans oratoires. Futiles demeurent mes efforts de paraître un natif de l’endroit. Insignifiants se révèlent mes essais de reproduire l’élocution déclamatoire de mes interlocuteurs interloqués.

C’est inévitable, incontournable, imparable, immanquable et surtout immuable: j’ai un accent en anglais.

Aucun moyen de me dissimuler dans la masse vocale des humains de mon environnement. D’ailleurs jamais n’oserais-je effectuer un appel téléphonique anonyme dans le secteur où j’habite. J’aurais cent fois plus de chances d’être reconnu que Barack Obama tentant de commettre un vol de banque à l’aide d’une cagoule transparente.

Désormais c’est ainsi qu’on m’identifie: l’homme à l’accent.

Quelques exemples

Voici quelques exemples pour vous faire rire pendant que j’en pleure encore.

Lors d’une partie de baseball de fiston, j’ai commandé un hot-dog au kiosque alimentaire. Avec un chien aussi chaud dans la bouche, je me suis dit qu’à défaut de parler sans accent, j’aurais au moins l’air d’un Américain sans avoir à le démontrer en mots dits. N’étant pas encore à point, ce fabuleux mets culinaire dut se faire quelque peu désirer. Dix minutes plus tard, je revins donc vers le kiosque afin d’y quérir cette chair pré-payée. Nul besoin de m’identifier. La serveuse s’exclama: « Ah oui, je vous reconnais, c’est vous qui avez un accent. »

Quelques jours plus tard, en entrant dans mon restaurant favori, j’informai l’hôtesse que je venais rejoindre mon épouse. Le gérant s’approcha de moi et me dit: « C’est vous qui avez un accent? Votre conjointe vous attend de ce côté-ci. » C’est ainsi que la mère de nos enfants avait cru bon d’identifier le prétendu homme de ses rêves.

Doux baumes

Heureusement, de doux baumes furent tendrement appliqués sur mes plaies linguistiques.

Lors d’une discussion au cours de laquelle je m’excusais d’avoir un accent, une dame de New-York me supplia: « J’adore votre accent. Je vous implore de ne rien changer à votre accent. »

Un peu plus tard dans la journée, un individu à qui je parlais aussi de mon accent, me répliqua tout de go: « Oh vous savez, ici à New York, il y a huit millions de personnes et donc huit millions d’accents différents. L’important, c’est qu’on vous comprenne et que vous nous compreniez. »

Conclusion

Bref, même si je désire le nier de toutes mes forces, invoquer le 5ième amendement, réclamer la présence de mon avocat, argumenter pendant des lunes, conserver motus et bouche cousue, froncer mes sourcils circonflexes, rien n’y fait: j’ai un accent en anglais.

Heureusement, avec le temps, j’en suis venu à accepter mon accent. À apprécier mon accent. À cultiver mon accent. Et même à revendiquer le droit à mon accent.

Car mon accent me distingue. Je suis l’homme qui a un accent. Je suis l’être qui a des racines. Je suis l’humain qui a une identité culturelle. Je suis propriétaire d’un accent. Il est à moi et à personne d’autre. Nul ne peut voler mon accent, ni même me l’emprunter. Quelques Amerloques ont tenté de l’imiter. Peine perdue.

Grâce à mon accent, j’ai une personnalité distincte. D’ailleurs je proviens d’une société distincte en Amérique du Nord. Une société francophone. Une société qui a un accent. Très aigü d’ailleurs. Le Québec.

Je suis fier d’avoir un accent.

 Et vous?

Comment se porte votre accent?

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